Le récit d'accouchement de Coralie
Ça fait déjà plusieurs jours que je sens que ça approche, que je sors marcher des heures et des heures avec mon casque sur les oreilles, que je contracte de plus en plus fort...

Je me sens bizarre
Et ce samedi 6 avril, après un apéro entre voisins, je n'arrête pas de répéter à ton papa que je me sens bizarre. Je sens que ça bouge, vraiment. Je me demande ce que tu trafiques, tu bouges beaucoup par rapport à ces derniers jours et puis je te sens t'agiter en bas... Les contractions sont aussi bien plus fortes que ces 48 dernieres heures...
Ce soir, on fait des photos avec tes sœurs et toi, encore caché derrière mon nombril. Je ressens aussi le besoin de t'écrire, l'envie de te remercier comme si on arrivait à la fin et qu'il était temps. Je me refais ces 9 mois passés avec toi, tout ce qu'on a vécu ensemble. J'avais fait pareil pour tes sœurs je me souviens... Et elles étaient d'ailleurs arrivées le jour suivant toutes les deux...
Je me sens bizarre, vraiment.
Il est minuit, je vais me coucher malgré la douleur et les ronflements de Papa... Mais je n'arrive pas à dormir alors je pars m'allonger au salon.
Après une heure ou deux à rêvasser, je me lève d'un coup. Il est 3h18 et j'entends ce "ploc" que je reconnaîtrais entre 1000. Je cours aux toilettes... C'est bien ce que je pensais... La poche des eaux est fissurée...
Je reste un long moment là, à essayer de réaliser que c'est bien pour aujourd'hui.
Je pense à Christine Gayrard, qui va rire quand je lui dirai que cette fois-ci encore, j'ai perdu les eaux en début de travail...
Je retourne dans la chambre me changer en essayant de ne réveiller personne mais papa a l'oreille fine...
C'est parti, tu arrives pour de vrai, enfin.
Ce sera donc le 7 avril, ce jour que tu as choisi.

"J'ai perdu les eaux..."
Cette phrase que ton papa a déjà entendue 2 fois. Il s'est assis dans le lit d'un coup, "t'es sûre?".
Oui oui... Aucun doute, ce sera pour aujourd'hui.
On se regarde, il y a un long silence, j'essaye encore de réaliser que je vais bientôt te serrer contre moi.
Alors on se met au travail, chacun le sien, en veillant à laisser les filles à leur sommeil, il est tout juste 3h45.
J'hésite à appeler Christine, après tout, je n'ai toujours pas de contractions, mais j'ai quand même rompu... Qu'est-ce qu'elle avait dit déjà pendant les cours de prépa...? Bon, j'attends encore une heure ou deux et je l'appelle.
Papa pousse les meubles, pose les caisses bien préparées sur la table, déplie le canapé lit, prépare le poêle pour nous tenir au chaud et installe la piscine, prête à être remplie.
Et moi, je sors mes petits papiers, tous leurs mantras, leurs mots doux, écrits lors de ma Blessing Way. Je les découvre au fur et à mesure que je les dispose sur mon autel.

je réalise, ça y est
J'allume mes bougies, installe mes photos et passe mon sautoir, chargé de leurs énergies. Je pense à elles, ces merveilleuses femmes, mon village.
Je fais une vidéo pour leur dire que c'est le jour J, on peut se connecter, ça a commencé.
Je leur envoie et alors je réalise, ça y est. Je pleure. Je suis heureuse, on va le faire. Je vais t'accueillir mon bébé, ici, chez nous, chez toi.
Et doucement, les premières contractions arrivent, j'appelle Christine, ce n'est que le début, tout va bien. Je passe mon casque sur les oreilles, lance ma Playlist "Birth" préparée depuis des semaines et me met à rêver doucement.
Je rêve à nous, je rêve à toi.

Les heures passent
et il fera bientôt jour. Doucement, je m'éloigne du rivage. Celui où tu m'attends. Les vagues se sont arrêtées devant les premières lueurs du jour, ma voile ne se gonfle plus. Je suis là, au milieu de l'océan et rien ne me rapproche de toi.
Les filles ont choisi ce jour pour faire la grasse matinée, bien sûr. Et les voisins ont encore leur volets fermés, on ne veut pas les déranger trop tôt.
Papa guette le réveil de tes sœurs et fait des allers retours dans le jardin pour voir quand les voisins seront levés. On se croise dehors, je suis sortie marcher pour essayer de relancer le travail, mais rien n'y fait.
Alors je mange un peu et m'assoupit. Les filles se réveillent enfin, il est 10h. On leur dit que bientôt, leur petit frère sera là. On fait quelques photos ensemble, on met de la musique, on danse.

Christine arrive pour un monito
Je suis si heureuse de la voir...
J'ai finalement bien perdu les eaux, comme à chaque fois, on rigole.
Toi, tu vas bien, tu te prépares doucement. Mais pour que les choses avancent, je dois réussir à repartir, à embarquer pour de bon. Alors tout s'organise...
Les filles sont prêtes, les voisins sont réveillés et papa va les déposer. On se revoit toute à l'heure et elles te rencontreront enfin, tu sais qu'elles ont hâte.
Un peu avant 11h, Christine repart, en me posant les TENS, je sens que ça repart et la douleur en bas du dos me revient, comme familière...

papa, toi et moi
Nous ne sommes maintenant plus que papa, toi et moi. Mon casque sur les oreilles, j'écoute mes musiques et je lui dis que je vais me laisser dériver, qu'il est temps. Je le rassure en lui disant que je me sens bien et que tu te prépares aussi.
Quelques petites minutes plus tard, vers 11h30, j'embarque.
Ça va vite, je perds rapidement notion du temps, j'ai du mal à répondre aux questions de papa, qui va devoir commencer à prendre les décisions sans moi.
Je m'éloigne, me laisse porter par ces vagues tant attendues, dans cette barque au milieu de l'océan qui me rapproche de toi. Ces visualisations sont devenues ma réalité pour quelques heures, le temps d'arriver jusqu'à toi.

Ça y est, j'ai besoin d'aide
Il doit être pas loin de midi, papa envoie quelques messages et sans que je ne me rendre compte de rien, elles sont là, autour de moi.
Christine est cette fois accompagnée de Marion Guérin. Je lui demande de regarder où j'en suis. "Tu es sûre ? Tu pourrais être déçue".
J'ai besoin de savoir... Je suis à 3. OK, ça va aller, je suis déjà allée plus loin, je vais y arriver. Je suis capable.
Je n'ai même pas vu que Marion Ziadé était là aussi, mais il paraît que je lui ai dit bonjour... Elle va immortaliser ce moment hors du temps et moi, je ne suis déjà plus trop là.
Si elles sont venues, c'est que ça avance bien.

Tout le monde m'entoure
me soutient, m'enveloppe, me contient. Je sens la chaleur, les appuis, les caresses.
Quelle chance d'avoir ces 4 belles âmes juste pour nous. On a fait le bon choix mon bébé, on peut continuer, tout va bien se passer, nous ne sommes pas seuls.
Je suis maintenant complètement partie dans mon vortex, je souffle et gonfle ma voile à chaque vague. Ça avance, je le sens, ça avance très vite même.
13h30, Marion me demande si je veux aller dans la piscine. J'ai peur d'enlever les TENS qui me font tant de bien au dos...
Mais l'eau m'appelle...

Le monde que je connais n'existe plus
Il n'y a plus de temps, plus de gravité, je flotte dans ma bulle et je suis si proche de toi.
L'intensité est montée d'un cran mais je me sens pleine de force, de puissance, je sais que je suis capable. Et je suis si bien entourée...
J'essaye de respirer comme il faut, je m'allonge et me repose entre chaque vague, et me redresse, prête, lorsqu'elles reviennent.
On m'apporte à boire, on me coiffe les cheveux. Des mains me soutiennent quand je vacille, des bras m'enveloppent quand je tremble, des voix m'accompagnent et m'encouragent.

Le vortex
Cette fois, je suis vraiment dans mon vortex et je continue de m'y abandonner, mais pas totalement, quelque chose bloque...
Puis d'un coup, tout s'intensifie, je sens la puissance me traverser. Je me demande combien de temps je vais encore devoir tenir...
À cet instant, Christine s'agenouille devant moi et en me prenant les mains, elle guide ma voix. Les sons graves arrivent alors naturellement, cette voix inconnue que je découvre et qui me soulage tellement, la mienne.
Je débloque cette force, inespérée, enfouie au creux de moi.
Cette fois je le sens, c'est pour bientôt.

Entre deux vagues,
je me perds dans une autre dimension, où je vois des choses, des couleurs qui dansent et où je suis si calme, si bien. J'entends tes sœurs, juste à côté, dans le jardin des voisins, qui rient.
C'est irréel.
Je me sens à ma place et dans l'instant présent comme encore jamais avant je n'avais pu l'être. Ici et maintenant. Plus heureuse que jamais.
Toujours la chaleur de ces deux femmes qui m'accompagnent, j'entends aussi ton papa, qui gravite autour. Je sais qu'il est là et qu'on s'occupe aussi de lui. Je n'ai pas peur mais j'ai tellement hâte. Je veux être sûre que je fais bien, "c'est normal que ce soit si long ?". Christine me rassure, tu seras bientôt là.

Tu es là
Je cherche ta tête du bout des doigts et durant une vague, qui ressemble maintenant plus à un tsunami, je sens tes cheveux. Marie-Hélène me l'avait dit. Maintenant je veux que tu sortes.
Il est temps, c'est l'heure de ton arrivée dans ce monde mon bébé.
Une vague de plus, je te sens glisser, doucement tourner mais je ne peux pas attendre davantage, alors sur un dernier cri, tu es là. ✨
Enfin te voilà, ça y est, je t'ai contre moi, je te vois, te sens, te touche. Tu es bien là mon petit garçon. Tu regardes autour de toi, tu es si calme, si serein. Tu es chez toi mon fils.
L'émotion est indescriptible.

On l'a fait, je l'ai fait
Je reviens doucement au réel et te contemple.
Notre premier regard, celui que je chéris tant, celui qui donne l'impression que l'on s'est toujours connus. Tu es exactement comme je t'avais imaginé.
Tout va bien, Christine et Marion sont là, près de papa et je vois des sourires sur tous les visages. Je vois enfin clairement Marion Ziadé et me demande depuis combien de temps elle est là...
Ton papa est près de nous, il respire à nouveau... Il nous embrasse et on reste un instant comme ça, tous les 3, ce moment suspendu, hors du temps, gravé à jamais.
Je demande à Christine l'heure de ta venue au monde, Papa avait raison, en plein après midi. "À 15h00 tout pile".
Ce dimanche 7 avril 2024, à 15h00, je t'ai mis au monde mon bébé chez nous, mon bébé, mon Maé.

Christine m'avait prévenue...
"Il va falloir sortir de la piscine maintenant Coralie..."
Ils sont tous là et continuent de me porter, comme depuis que ça a commencé, comme depuis plusieurs mois déjà...
La situation est quand même drôle je dois l'admettre.
Marion et Papa me porte à bout de bras, moi, je te porte et essaye d'enjamber cette piscine, qui avait l'air beaucoup moins haute toute à l'heure et Christine s'assure que le cordon ne se prenne pas dans mes pieds...
On essaye de nous sortir doucement de cette eau, dans laquelle tu es né.

Et tout va si bien
Finalement, on arrive sur LE tabouret... Là aussi Christine m'avait prévenue !
Je sens toujours ces vagues, plus douces, mais suffisamment puissantes pour mettre au monde celui que j'ai fabriqué pour être ta première maison, te faire grandir, te nourrir et te protéger : en quelques minutes, je délivre le placenta.
Et tout va si bien.
On nous aide à aller jusqu'au lit, au milieu du salon, et ce bonheur de s'allonger dans nos draps, avec cette odeur de lessive que j'aime tant, est inestimable. Je me sens si bien. Je pense à tes sœurs, qui vont bientôt pouvoir te rencontrer. J'ai hâte qu'on soit tous les 5 réunis, tellement hâte...

Notre Première tétée
Mais je profite de ces moments précieux, nos premiers câlins, peau contre peau.
Notre première tétée les yeux dans les yeux.
Ce premier poids, dont je me souviendrais toute ma vie, 3,030 kg.

Le cordon
Et puis au bout d'un long moment, il est l'heure de couper ton cordon, il est temps. Cette fois, je veux moi aussi participer et c'est Papa et moi ensemble qui coupons ce lien.
Christine peut récupérer ton jumeau pour nous en faire les empreintes... C'est magique.
On rit, on mange, on boit, on est bien. Le bonheur et la sérénité tapissent les murs de cette pièce. Notre maison, baignée d'amour comme je l'espérais, comme je l'imaginais secrètement.

Maintenant que je t'ai embrassé,
serré, senti et observé sous tous les angles, Papa a bien envie de te prendre contre lui a son tour.
Tu as deux grandes sœurs tu sais, j'ai déjà vu ton Papa en peau à peau avec nos tous petits aux premiers jours de leur vie.
Mais à chaque fois c'est la même émotion.
C'est comme retomber amoureuse. Encore et encore. De ce père, ce mari, cet homme qui m'a suivie dans mon envie d'accoucher à la maison. Celui qui a fait 50000 pas depuis 4h ce matin... Et qui a compris l'importance de ce projet.
Je suis chanceuse, je le sais.

L'empreinte du placenta
Je vais voir Christine, faire les empreintes du placenta, c'est beau.
"Du vert ?"... Évidemment...
Nous aurons chez nous cet arbre de vie pour toujours, celui qui t'a porté durant 9 mois, comme moi.
Et puis ça va être le grand moment, la rencontre tant attendue. Elles t'attendent depuis 6 mois et le temps commençait à être très long.
Tes petits coups à travers mon ventre ne les satisfaisaient plus, il était temps.

La rencontre
C'est vers 17h00 je crois, que Papa est allé les chercher chez nos voisins.
Quelques heures à peine après ta naissance, elle pourront profiter de toi tout entier.
Ça y est, je les entends derrière la porte...
Mon cœur va exploser, encore.
Elles sont intimidées, elles s'approchent doucement, elles n'ont d'yeux que pour toi.

Deux Grandes SŒURs
Elles te touchent du bout des doigts, t'embrasse du bout des lèvres, tu as deux grandes sœurs fantastiques.
On leur donne les boîtes à grandes sœurs que tu leur as préparées et Maëlys me demande encore parfois comment tu as bien pu faire alors que tu étais encore dans mon ventre.

Une nouvelle vie
Voilà, il va être l'heure pour Christine, Marion G. et Marion, Z de partir. La piscine est vidée, la réa bébé est rangée, les caisses sont fermées.
Les voir partir me fait un pincement au cœur, je sais que c'est la fin de ces longs mois de préparation.
On l'a fait.
Alors on se prend dans les bras et on se dit au revoir.
Le début de notre nouvelle vie commence maintenant, à la seconde où la porte se ferme. Je vais aller souffler sur mes bougies, allumées depuis 3h30 ce matin et profiter du plus grand bonheur qui soit.
Ma famille.